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Annonce d’ArcelorMittal à Dunkerque : toujours pas de décision, toujours pas de vrai tournant

Luxembourg, July 22 2024: Global headquarters of the steel giant ArcelorMittal. Steelwatch / Jeremy Sutton-Hibbert

L’annonce par ArcelorMittal de son « intention d’investir dans un premier four électrique, sur son site de Dunkerque » ne constitue en rien un tournant. Malgré les gros titres, il ne s’agit que d’une déclaration d’intention : l’entreprise n’a toujours pas pris de décision finale d’investissement.

L’annonce par ArcelorMittal de son « intention d’investir dans un premier four électrique, sur son site de Dunkerque » ne constitue en rien un tournant. Malgré les gros titres, il ne s’agit que d’une déclaration d’intention : l’entreprise n’a toujours pas pris de décision finale d’investissement.

Même si le projet de four à arc électrique (EAF) se concrétise, il ne représente qu’une partie du plan initial de décarbonation pour Dunkerque. Bien plus ambitieux, il comprenait notamment une unité de réduction directe du fer à l’hydrogène vert (H2-DRI). Un EAF seul, sans approvisionnement garanti en fer à faibles émissions, est insuffisant d’un point de vue climatique. L’entreprise n’a pas précisé comment ni où le fer serait produit, alors même que la transformation du minerai de fer en fer métallique pour la production d’acier est la principale source d’émissions. Sans stratégie claire d’approvisionnement en fer à faibles émissions, un EAF seul ne produira pas d’acier vert.

Comme le rappelle le Rapport d’évaluation climatique 2025 sur ArcelorMittal publié par SteelWatch, l’entreprise n’a pris de décision finale d’investissement sur aucun de ses cinq projets phares de DRI en Europe et au Canada. À l’échelle mondiale, 87 % de la capacité de production de fer d’ArcelorMittal repose encore sur le charbon. À Dunkerque, l’entreprise continue d’investir dans des infrastructures à base de charbon, avec 165 millions d’euros dépensés rien qu’en 2025 pour prolonger la durée de vie du haut fourneau n°4, sans date annoncée pour son arrêt.

Caroline Ashley, directrice exécutive de SteelWatch, a déclaré :

« Annoncer une version réduite d’un plan de décarbonation déjà retardé ne traduit ni ambition climatique, ni transition pérenne. ArcelorMittal doit cesser de faire marche arrière sur ses engagements climatiques et doit mettre en œuvre une transformation crédible vers des émissions quasi nulles, pas des opérations de communication au compte-goutte. La fenêtre pour une véritable action climatique est en train de se refermer. Annoncer des intentions ne revient pas à passer à l’action, et certainement pas à faire preuve de leadership. »

« ArcelorMittal a déjà obtenu des engagements de subventions publiques à hauteur de plus de 3,8 milliards d’euros — dont 850 millions d’euros rien qu’en France — pour la décarbonation. L’entreprise a désormais une dette envers le public : celle d’une véritable transformation alignée sur la science. Tant qu’elle ne publiera pas son rapport d’action climatique n°3, en retard, et ne s’engagera pas sur une trajectoire complète de décarbonation, avec des calendriers, des investissements et des plans de transition au niveau des sites, ses annonces ne resteront que cela : des annonces. »

Malgré ses discours sur l’incertitude et la prudence, ArcelorMittal ne manque pas de ressources. Entre 2021 et 2024, l’entreprise a généré 32,6 milliards d’euros de flux de trésorerie d’exploitation, mais n’a consacré que moins de 2,5 % de ce montant — soit 800 millions d’euros — à des projets de décarbonation. En revanche, elle a versé 12 milliards d’euros à ses actionnaires sous forme de dividendes et de rachats d’actions sur la même période. Avec un profit par tonne supérieur à celui d’avant la crise du COVID, ArcelorMittal a clairement les moyens financiers d’assumer un rôle de leader climatique. Elle choisit simplement de ne pas le faire.

FIN

Notes:

Construire des fours à arc électrique (EAF) sans production de DRI est-elle une stratégie viable de décarbonation ?
(Source : Évaluation climatique d’ArcelorMittal 2025 – SteelWatch)

En novembre 2024, lorsqu’ArcelorMittal a rendu public le fait que ses décisions finales d’investissement dans des unités de production de DRI (fer préréduit) en Europe étaient conditionnées à un environnement politique favorable, l’entreprise a également laissé entendre qu’elle analysait « une approche par étapes, qui commencerait par la construction de fours électriques, qui pourraient aussi être alimentés par de l’acier recyclé, pour réduire significativement les émissions. »

Cette approche semble devenir de plus en plus suivie : dans son Rapport de développement durable 2024, ArcelorMittal mentionne la transformation de sa production d’acier « par la poursuite du passage aux fours à arc électrique » comme l’un de ses axes prioritaires pour « les cinq prochaines années ». En revanche, les technologies de rupture pour la production de fer, qu’elles reposent sur l’hydrogène vert ou le captage, stockage et utilisation du CO2 (CCUS), sont repoussées à l’après-2030.

L’entreprise se félicite également du fait que « les fours à arc électrique (EAF) représentent désormais 25 % de la production mondiale du Groupe, contre 19 % en 2018 », même s’il convient de préciser que cette progression ne résulte pas d’une augmentation nette de la capacité de production en EAF, mais d’une baisse de la capacité de production des hauts fourneaux (BF-BOF).

Un exemple concret de cette approche est à l’œuvre à l’usine ArcelorMittal de Gijón en Espagne, où la construction d’un nouveau EAF d’une capacité de 1,1 million de tonnes par an a débuté en mai 2024. Pour rappel, c’est à Gijón qu’ArcelorMittal avait annoncé en grande pompe en 2021 la mise en place d’une unité de production de DRI à base d’hydrogène vert. D’une capacité de 2,3 million de tonnes par an, cette unité DRI était destinée à alimenter « la première aciérie au monde à parvenir au zéro émission à grande échelle » à Sestao, en Espagne. L’unité DRI ne s’est jamais matérialisée. Quant à l’usine de Sestao, elle devait initialement entrer en production avant fin 2025, mais ce calendrier est désormais intenable.

Du point de vue climatique, l’installation d’un EAF sans garantie claire d’un approvisionnement en électricité et en fer à faibles émissions — que ce soit du fer recyclé (ferraille) ou du fer préréduit (DRI) — soulève de nombreuses questions sur le bilan des émissions de gaz à effet de serre (GES). Alors que la fabrication de l’acier dans les convertisseurs à oxygène (BOF) est généralement couplée à des hauts fourneaux produisant et fondant le fer simultanément, les EAF peuvent fonctionner de manière autonome en fondant elles-mêmes le fer. Les EAF sont principalement alimentés en électricité et émettent donc moins de GES, bien qu’ils consomment également souvent du gaz fossile.

Il en découle que dans une usine BF-BOF, la grande majorité de l’empreinte carbone de l’acier produit provient du site de production lui-même — ce sont des émissions « directes » ou « scope 1 ». Par contraste, avec un EAF, l’essentiel des émissions liées à la production d’acier provient de la production d’électricité nécessaire à son fonctionnement (émissions dites « scope 2 »), ainsi que de la production du fer qui y est transformé. Si ce fer provient de fournisseurs externes, les émissions associées entrent alors dans la catégorie des émissions dites « scope 3 ».

Même avec une électricité qui ne provient pas de sources à basses émissions, produire une tonne d’acier dans un EAF alimenté à 100 % par de la ferraille, qui a une empreinte carbone nulle, émet en moyenne quatre fois moins de CO₂ qu’une tonne d’acier produite dans un site BF-BOF. Cependant, il peut être difficile de trouver de la ferraille en quantité et en qualité suffisantes pour produire certains types d’acier, notamment les aciers à haute performance utilisés dans l’industrie automobile. En conséquence, il peut être nécessaire de compléter la ferraille recyclée avec du « fer vierge » résultant de la transformation du fer extrait des mines. Il peut s’agir de fonte produite dans un haut fourneau très émetteur de CO₂, ou de DRI à plus faible empreinte carbone.

Sur le plan de l’électricité, il convient de saluer les investissements directs d’ArcelorMittal dans la production d’électricité d’origine renouvelable, avec une capacité totale installée ou en cours de développement de 2,3 GW en Inde, au Brésil et en Argentine, représentant plus d’un milliard de dollars d’investissement.

Sur le plan du fer, toutes choses égales par ailleurs, si ArcelorMittal souhaite développer massivement sa flotte de fours à arc électrique, elle aura de plus en plus de difficulté à se procurer de la ferraille en qualité et en quantité suffisantes. Elle devra donc alimenter ses nouveaux EAF avec des volumes importants de « fer vierge ».

Dans la version publique de la décision d’aide d’État pour le projet DRI-EAF à Dunkerque, il est indiqué qu’ArcelorMittal « a établi une proportion maximale de [30 – 50] % de ferraille et un minimum de [50 – 70] % de DRI » afin de « garantir la qualité minimale requise pour le carnet de commandes ». En outre, comme la capacité de DRI prévue est inférieure aux volumes d’acier à produire, « ArcelorMittal France acquerra également [0 – 1] Mt de HBI vert. La politique d’ArcelorMittal France est d’acquérir du HBI vert, c’est-à-dire produit dans un procédé à émissions nulles ou négligeables » (le HBI est une forme briquetée de DRI facilitant son transport sur de longues distances).

Si ArcelorMittal ne produit pas ou ne s’approvisionne pas en fer DRI à faibles émissions en quantité suffisante — en Europe ou ailleurs —, il y a un risque que ses EAF soient alimentés avec de la fonte issue de hauts fourneaux très émetteurs de CO2, ou qu’ils restent sous-utilisés. Ainsi, sans plan clair d’utilisation de fer à faibles émissions, les EAF sont susceptibles de ne pas réaliser leur plein potentiel de réduction des émissions de CO2.

Ce risque est d’autant plus préoccupant que les objectifs climatiques 2030 d’ArcelorMittal ne couvrent que les émissions de scope 1 et 2. Par conséquent, ils n’inclueraient pas les émissions de CO2 qui résulteraient de la production de fonte achetée auprès de fournisseurs externes.

Contacts:

Caroline Ashley
Directrice, SteelWatch (France, CEST)
[email protected] | +44 7947 691 911

Gozde Incegul
Chargée de communication, SteelWatch (France, CEST)
[email protected] | +90 537 583 5442

Sources:

  1. ArcelorMittal, ArcelorMittal provides update on its European decarbonization plans, 26 November 2024.
  2. ArcelorMittal, ArcelorMittal Sustainability Report 2024, p15, p2, 2024.
  3.  World Steel Association, World Steel in figures 2024.
  4.  SteelWatch, Explainer: Why the auto industry doesn’t need blast furnace steel, 22 January 2025.
  5.  ArcelorMittal, ArcelorMittal Sustainability Report 2024, p15, 2024.
  6.  European Commission, State Aid- France Aid to ArcelorMittal France, 20 July, 2023.

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